Les débuts de la captivité
Le 17 juin le maréchal Pétain forme un nouveau gouvernement et demande l'armistice. Le lendemain, le général de Gaulle lance un appel depuis Londres pour poursuivre le combat. Le 22 juin l'armistice est signé. La France est défaite et sera coupée en deux, une zone occupée au nord par les Allemands, une zone libre au sud, l'Etat Français.
Maurice Boussuge est interné dans un camp à Arnières-sur-Iton du 16 juin au 2 juillet, puis à Marseille-en-Beauvaisis du 3 au 5 juillet. Il est ensuite affecté au 101° Frontstalag de Cambrai. Il est réquisitionné pour faire les moissons et se retrouve dans une grosse ferme d'Hamelincourt dans le Pas-de-Calais. Il part pour l'Allemagne en train le 2 octobre. Il débarque le 5 à Görlitz, ville d'Allemagne orientale située sur la rive gauche de la Neisse. Il est rattaché au Stalag VIII A. Il séjourne un mois dans un camp. Il est envoyé le 4 novembre dans un Arbeitskommando pour travailler à Sandhübel (Pisecna, district de Jésénik, Région d'Olomouc, République Tchèque) où il fabriquera des pierres tombales.
"Les Allemands nous parquaient dans des prairies pour la nuit. On n'avait pas de nourriture. Pour résister à la faim, on a mangé de l'herbe. Par la suite on nous distribuait du fromage de Hollande qui était bien sec. J'ai toujours été dégoûté par la suite de ce fromage, tellement j'en avais mangé. Nous étions fatigués, nous dormions peu. Une nuit, après une bonne averse, nous tentions de dormir un peu ou de somnoler appuyés deux par deux, dos à dos, car la prairie était pleine d'eau. De temps en temps on entendait un grand plouf, deux prisonniers qui s'étaient endormis, venaient de tomber. Dans nos pérégrinations, je me souviens particulièrement d'une marche d'Arras à Cambrai. Des officiers dont deux généraux assez âgés, marchaient en tête. J'ai vu des civils insulter ces généraux et les gifler. Ces derniers n'ont pas bronché. A Cambrai nous avons dormi sur les pavés de la Citadelle. Je me suis retrouvé dans une grosse ferme d'Hamelincourt pour faire les moissons. J'ai pu me nourrir. Nous travaillions la journée et étions sous bonne garde la nuit. Nous avions appris que des cheminots pouvaient cacher dans la réserve de charbon de leur locomotive des candidats à l'évasion. Ils les transportaient jusqu'en région parisienne.
Nous avons voyagé pendant quatre jours dans des wagons de marchandises, nous n'en sommes jamais descendus. Lorsque nous sommes arrivés à destination, nous étions tout ankylosés. Je suis resté en camp durant un mois avant d'être envoyé dans un ArbeitKommando. A peine arrivés au camp et installés dans des baraquements, des Belges sont venus nous proposer d'acheter des pommes de terre de mauvaise qualité à prix d'or. Ils se sont fait sortir ! Ils avaient mauvaise réputation car beaucoup pensaient que le roi des Belges avait fait capituler son armée trop tôt. Nous nous sentions trahis.
Au début je me souviens avoir travaillé dans une usine où nous lavions des betteraves. Nous avions froid et étions trempés. Un beau jour nous avons été quelques uns à en avoir assez. Le matin nous nous sommes cachés sous nos lits. Nous n'avons pas été découverts. Nous avons peut-être eu des réprimandes mais pas de punitions il me semble. Nous ne somme pas retournés laver des betteraves. Des patates de mauvaise qualité ou moisies, des soupes et quelles soupes, composaient régulièrement les repas. Nous n'avons pas échappé à la dysenterie.
Je me suis retrouvé dans une fabrique de pierres tombales. Je devais polir des pierres de granit sous les ordres d'un contre-maître qui répétait toujours "Langsam, langsam !" afin de ne pas abîmer les pierres. Un des prisonniers sabotait régulièrement ce qu'il faisait en laissant tourner trop vite ou trop longtemps sa ponceuse, ce qui faisait que la pierre était inutilisable. Le contre-maître hurlait tandis que l'autre jouait l'idiot en disant qu'il ne savait pas. Un jour, un grand monument funéraire composé de plusieurs dalles de pierre fut assemblé dans la cour. Quelqu'un demanda pour qui était destiné cette commande. Avec une certaine jubilation il a été répondu que c'était destiné à l'Angleterre et que les pierres transiteraient par la Scandinavie (Norvège ou Suède, je ne me souviens plus). Edifiant !
Pour compléter voir la première partie de l'exposition en ligne des Archives départemantales de Saône et Loire consacrée au prisonniers de guerre