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ACPG 39-45, d'Albi à Prague, souvenirs d'un ancien combattant prisonnier de guerre 39-45
ACPG 39-45, d'Albi à Prague, souvenirs d'un ancien combattant prisonnier de guerre 39-45
9 février 2010

La libération et le retour en France

"Nous avons été évacués de Freiwaldau le 7 mai en raison de l'avancée des Russes. Les Göttlich m'ont demandé de rester, certainement pour les protéger. J'ai expliqué que ce n'était pas mon désir. Je souhaitais rentrer dans mon pays après toutes ces années d'absence et de privation de liberté. Je crois que c'est le coeur serré qu'ils m'ont vu partir.
Dans l'immédiat nous partions pour l'inconnu. Nous aussi nous tournâmes en rond dans la région avec le flot de réfugiés.

Le 9 mai 1945 à 6h20 nous étions libérés par les troupes russes. Une voiture s'arrêta à mon niveau, en descendit un général. Chaleureux et hilare, il me serra les mains avec force tovarich dans la conversation. Il demanda à son chauffeur de me donner deux cigares que bien sûr j'acceptais. Il repartit comme il était venu. Les Russes n'avaient pas grand chose à nous donner. Nous nous retrouvâmes quasiment livrés à nous-mêmes. La vodka coulait à flot. A chaque fois que l'on rencontrait des soldats, il fallait boire. Les unités qui ont procédé à notre libération devaient venir pour la plupart de Sibérie ou d'Asie centrale, car il y avait beaucoup d'hommes avec des yeux bridés, totalement antipathiques et demi-fous. Nous étions obligés de vivre avec ce que nous avions pu emporter et de s'adresser où l'on pouvait pour compléter le ravitaillement. J'étais parti avec deux valises et deux musettes; compte-tenu de l'encombrement, de la cohue et de l'inorganisation j'ai du abandonner des valises trop lourdes qui me ralentissaient. Elles étaient remplies de vêtements et d'autres "souvenirs" accumulés durant ces années. J'ai souvent regretté des pipes à tuyau recourbé. A un moment je faisais route avec un Savoyard, bâti comme un Savoyard. Dans la file de réfugiés nous avisons un cabriolet attelé de deux chevaux et conduit par des jeunes hitlériens. Le Savoyard stoppa les chevaux pour réquisitionner l'attelage à notre profit. Les occupants ne voulaient pas céder. Le Savoyard empoigna son bâton et les menaça furieusement de nous céder la place. Les autres battirent en retraite de mauvaise grâce. Nous nous emparâmes de l'attelage et en-avant. Nous nous le sommes fait reprendre par des soldats russes, qui eux nous menacèrent avec leurs armes. Ils nous refilèrent une charrette en mauvais état avec des chevaux fourbus. Comme nous n'avancions plus, nous l'abandonnâmes pour nous retrouver à nouveau piétons. Nous déambulions dans un village lorsque nous avons vu venir vers nous des Russes qui avaient emprunté des vélos. Ils ne savaient pas en faire. Nous nous doutions qu'ils allaient tomber. Ils s'accrochérent et firent un beau gadin. Bien sûr, nous avons ri. Eux pas du tout. Ils se relevèrent, vinrent vers nous et nous menacèrent avec leurs mitraillettes dont le canon de l'une d' elles se retrouva sur ma poitrine. Nous avons été obligés de palabrer un bon moment pour expliquer que nous étions des prisonniers de guerre français, fraîchement libérés. A un autre moment nous étions dans une ferme pour nous désaltérer. Une jeune femme enceinte nous accueillit. Soudain des cavaliers russes arrivent. Ils entrent comme des sauvages réclamant à boire. Bien sûr ils nous offrent de la vodka. Ils nous tendent à chacun un quart rempli à ras bord tout en pointant un pistolet sur nous pour que nous ingurgitions le breuvage affreusement brûlant. Je réussis à vider mon quart par terre à la faveur d'un moment d'inattention des soldats. Nous avons pensé qu'ils avaient des visées sur la femme. Nous sommes restés jusqu'à ce qu'ils partent. Nous partîmes à notre tour, mais nous n'avons jamais su s'ils ne sont pas revenus pour la violenter. Certains étaient de véritables salopards. Ils volaient les montres et les alliances qu'ils exhibaient en nombre. Un prisonnier rencontré était en colère, il s'était fait voler sa montre. Comme ce devait être un communiste, j'entends encore sa remarque :"Communiste ah oui ! Mais plus communiste de Moscou !" Nous avons croisé également des partisans polonais ou tchèques. Avec eux aussi, j'eus des ennuis. Comme j'étais assez blond, un groupe pensa que j'étais un soldat allemand qui se cachait. ou un sudète à débusquer. Il y eut encore des palabres et des explications avec l'intervention d'autres pour leur faire entendre raison.

Le 11 mai je me trouvais à Weigelsdorf (Vikantice, République Tchèque) d'où je partis pour Grülich (Kraliky, République Tchèque)  et le lendemain pour Aufsberg ou Aufsterberg (illisible dans le carnet de notes). Le 13 mai je partais pour Prague.

Prague acpgkrgef3945 Place Wenceslas1

Je contractais une infection au visage au niveau des poils de barbe. Je fus hospitalisé. J'ai séjourné à Prague jusqu'au 30 mai. Nous étions tout un groupe dans le même cas dont une jeune infirmière dévouée et gentille s'occupait parfois avec peine, mais avec autorité. J'avais le visage barbouillé avec un produit noir et épais comme du goudron. Nous étions charmants à voir. Au bout de quelques jours nous avons eu l'autorisation de sortir en ville. Je fis donc du tourisme à Prague. Un jour que nous étions en groupe, des habitants nous abordèrent et s'adressèrent  à nous dans un français parfait. Ils nous demandèrent si nous avions de quoi lire. Le lendemain des livres étaient à notre disposition à l'hôpital. Nous n'avons jamais su qui étaient ces personnes. Dans notre découverte de la ville, nous fûmes confrontés à un événement étrange. Dans une rue des cadavres étaient chargés dans un camion. A notre vue ceux qui transportaient les corps se firent menaçants. Nous comprîmes qu'il n'était pas opportun  de rester à cet endroit et nous partîmes rapidement. S'agissait-il d'exécutions sommaires de soldats allemands ou de " collaborateurs " avec les occupants ? Le début de la " chasse " aux civils allemands qui devaient être expulsés de la Tchécoslovaquie renaissante conformément aux accords de Potsdam ?

Prague acpgkrgef3945 ponts

Je découvris la place Wenceslas, le pont Charles, la vieille ville, la cathédrale Saint-Guy. Je trouvais la ville belle et aérée. Après cette pause forcée, loin de chez moi, les anciens prisonniers furent enfin pris en charge.

Si les Russes nous avaient fait mettre le cap à l'est, cette fois nous fûmes dirigés en convois vers l'ouest. Nous arrivâmes à Pilsen le 31. Pilsen était la ville qui délimitait les zones d'occupation des armées russe et américaine. La tension entre les deux était plus que palpable. Pour le rapatriement dans notre pays, nous étions répartis en deux colonnes, l'une était dirigée vers les forces russes, l'autre vers les forces américaines. Quand j'eus jaugé la situation et écouté un peu ce qui se disait, je changeais de colonne pour me retrouver dans celle prise en charge par les Américains. Ils ne nous traitaient pas non plus de manière raffinée, mais j'étais sûr de ne pas rester dans la région. Les Américains n'étaient pas des enfants de choeur. Ils nous transportaient dans des camions conduits à vive allure. Il y avait des accidents mortels de temps en temps, mais tant pis. Pour nous alimenter en eau potable, ils disposaient de grands tankers dans lesquels ils faisaient dissoudre des pastilles de chlore. L'eau était infecte.

Le 1° juin je fus transféré à Regensburg ou Ratisbonne. De là je pris le train pour un voyage de quatre jours qui me ramènera en France. J'ai voyagé à ciel ouvert dans un wagon tombereau. A chacun de ses angles il y avait un promontoire que nous occupions à tour de rôle afin d'avoir de l'air frais et de voir ce qui se passait autour de nous. Durant ce voyage, je ne sais plus où cela se passait, des Espagnols qui avaient été déportés ou prisonniers, avaient reconnu un de leur tortionnaire. Ils l'ont lynché à coups de pieds et coups de poings et l'ont achevé d'un coup de pioche dans la tête. La police militaire intervint, mais il n'y eut pas de coupables désignés ou retrouvés. Ce fut la dernière horreur que je vécus.
Nous passâmes à Nuremberg qui était dévastée, tout comme d'autres villes. Le spectacle était saisissant, surtout la nuit quand il n'y avait pas de lumière, les véritables ténèbres. Nous avons franchi le Rhin à Mayence sur un pont de fortune. Nous n'étions pas rassurés car nous avions appris que quelques jours auparavant, un convoi transportant d'anciens prisonniers était tombé dans le fleuve. Le temps nous parut long sur ce pont branlant. J'avais projeté, en cas d'accident, de sauter le plus loin possible du train qui tomberait pour ne pas me faire coincer dedans ou dessous.
Je fus pris en charge le 5 juin à Hayange par les autorités françaises.
Le lendemain 6 juin, j'arrivais à Paris, gare de l'Est, sur la voie située côté rue du Faubourg Saint-Martin, celle qui est la plus à droite de la gare lorsqu'on fait face aux voies. A la descente du train, il n'y avait pas de comité d'accueil sur le quai. Je fus envoyé à l'hôpital Villemin, tout proche.
Fin du cauchemar."

Pour compléter voir la troisième partie de l'exposition en ligne des Archives départementales de Saône et Loire consacrée aux prisonniers

http://www.archives71.fr/arkotheque/client/ad_saone_et_loire/_depot_arko/articles/200/prisonniers-de-guerre-soldats-de-saone-et-loire-en-captivite-1940-1945-exposition-panneau-5-et-6_doc.pdf

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L'auteur
http://www.alainboussuge.com/
Investigateur du parcours militaire des hommes durant les conflits : 1870-1871, 14-18, 39-45.

Historien par passion.
Les hommes de ma famille ont été mobilisés en 1870, 1914, 1939.
Où ont-ils combattu ? Qu’on-t-il enduré ? Ils sont revenus vivants, mais pas toujours indemnes.
Ce site est consacré à mon père
Un oncle, FFL, 2°DB, epagliffl.canalblog.com
Les victimes de guerre sont anonymes sur les monuments aux morts, elles revivent, pour peu que l’on s’intéresse à elles.
A Bourbon-Lancy, en Saône et Loire, 2 monuments aux morts, 3 sites d’identification des morts
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Un livre, Le canton de Bourbon-Lancy dans la guerre de 1870-1871
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