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ACPG 39-45, d'Albi à Prague, souvenirs d'un ancien combattant prisonnier de guerre 39-45
ACPG 39-45, d'Albi à Prague, souvenirs d'un ancien combattant prisonnier de guerre 39-45
8 février 2010

La vie de prisonnier

Numéro matricule de prisonnier Erkennungsmarke 3292/101

"Vivaient à la ferme une femme mariée dont l'époux était mobilisé et ses beaux-parents. Je l'appelais la patronne car elle et son mari étaient les fermiers, les beaux-parents, le vieux et la vieille. Lui était presque aveugle et ne pouvait plus travailler. Les deux femmes abattaient l'ouvrage. Un beau-frère les aidait mais elles avaient besoin d'un ouvrier agricole comme on dit aujourd'hui.

La ferme n'était pas très grande : culture de céréales et de pommes de terre, quelques vaches, des porcs, un peu de volailles.
Je devais faire les gros travaux de culture : labours, semis, fauchages, moissons. L'automne et l'hiver, le débardage de grumes de bois dans les forêts environnantes, dans le froid et la neige. Si adolescent j'avais gardé les vaches et les moutons et fait du jardin potager, je n'avais jamais effectué de gros travaux agricoles. On m'apprit tout sous la férule du vieux, de la patronne et du beau-frère. J'ai surtout appris à travailler avec un cheval et à en faire un bon compagnon.

acpgkrgef3945 CoupleGÖTTLICH

Adelsdorf, Couple Göttlich

Au début que j'étais chez les Göttlich, lorsque j'arrivais le matin à la ferme, la vieille me disait : "Heil Hitler" en faisant le fameux geste. Je ne répondais pas. Au bout de quelques jours elle me demanda pourquoi je ne répondais pas. Je lui expliquais que je n'étais pas Allemand et que je n'avais pas à faire ce geste. J'étais un prisonnier de guerre régi par la Convention de Genève. A partir de ce jour, les matins, nous échangions un "Gut Morgen". J'avais le droit de boire un café en arrivant, surtout l'hiver après avoir marché dans le froid et la neige depuis Freiwaldau.
Au fur et à mesure que le temps passait, je m'installais, durant la journée, dans mon nouvel état de paysan.
L'hiver je travaillais dans les bois pour débarder des grumes avec le cheval. J'étais associé au beau-frère de la maison ou à un voisin. C'était pénible en raison du froid et des hauteurs de neige, les chevaux y étaient parfois plongés jusqu'au poitrail. Le travail était dangereux et il fallait être attentionné. Lorsque je rentrais j'étais trempé malgré la capote militaire française qui était toujours en service et les bottes que l'on m'avait procurées. J'avais le droit de me sécher près du poêle.
Le midi je prenais mes repas à la table avec les membres de la famille. A une certaine période, un prisonnier russe et un jeune Polonais travaillaient à la ferme. Ils étaient mis délibérément à l'écart et ne mangeaient pas avec nous. On sentait fortement que les slaves n'étaient pas appréciés.
Il est vrai que ce prisonnier russe n'était pas très évolué. On avait beaucoup de mal à se comprendre en raison de la langue. Il était plus âgé que moi et était rustre. Lorsque j'avais des cigarettes qui m'étaient parvenues par colis, si je n'y prenais pas garde, il aurait fumé le paquet à lui tout seul. Parfois nous échangions nos tabacs. Je compris pourquoi il appréciait tant mes cigarettes. Son tabac était rustique et mal dégrossi avec des morceaux de feuille qu'il fumait dans du papier journal façonné en cornet. Lorsqu'il y mettait le feu, c'était une véritable torchère qui se mettait en marche.
Une autre fois la patronne me prit à témoin en me désignant le Russe en train de débarrasser le fumier de l'étable des vaches. Pour le mettre sur la pelle ou la fourche, il le ramassait à la main et ne se lavait pas ensuite.

acpgkrgef3945 Milec Paul

Adelsdorf, Milec à droite, Paul à gauche

Un autre compagnon de captivité fut un jeune Polonais se prénommant Milec. Il fut avec moi de janvier 1943 à février 1944. Il était intenable, tout fou et insubordonné au possible, y compris avec moi. le vieux mangeait souvent de l'oignon. Comme il ne voyait presque plus, les oignons étaient placés devant lui sur la table, toujours au même endroit. Il les épluchait puis les coupait en morceaux. Milec passait par là et mélangeait les épluchures et les morceaux d'oignons. Le vieux jurait lorsqu'il portait ce mélange à la bouche au plus grand plaisir de Milec qui riait de son tour. Il devait parfois m'aider mais il était difficile de le faire travailler. Je n'insistais pas mais il était assez fréquent que nous nous disputions. Une fois cela  alla peut-être plus loin que d'habitude. Il s'était emparé d'une fourche et voulait m'en donner un coup. Je dus parlementer pour le raisonner. Je tenais un fouet prêt à lui asséner un bon coup de manche pour me protéger. On n'en arriva pas là, heureusement. Une autre fois l'idée lui vint d'uriner dans les crins de la queue du cheval. Le cheval n'était pas méchant mais je le mis en garde. Il n'écouta pas et s'exécuta. Le cheval sentit, se détendit d'une jambe assez vigoureusement. Milec évita le coup . Et ainsi de suite. Il faisait les quatre cent coups avec Paul le fils d'un voisin, à peu près de son âge. Il pouvait être charmant et sympathique puis turbulent et vicieux dans son comportement. Cela ne se termina pas trop bien pour lui. Les patrons décidèrent de le renvoyer et firent appel à la gendarmerie. Un matin un Feldgendarme se présenta pour le récupérer. Milec ne voulut pas se laisser prendre. Il courut et sauta dans tous les sens dans la cour de la ferme. Le gendarme le poursuivait, mais comme il n'était plus tout jeune, il ne parvenait pas à l'attraper. Il tomba plusieurs fois. Il finit par le rattraper. Je revois toujours le gendarme tirer son poignard du fourreau et le menacer. Je crus un instant qu'il allait le tuer. Il fut emmené et je ne sais pas ce qu'il est devenu. Milec était comme cela, mais son comportement révélait l'inimitié profonde qui régnait entre Allemands et Polonais.

Dans mon malheur j'avais assez la confiance de la famille Göttlich. J'allais et je venais comme je voulais dans le village et ses environs où se situaient champs et forêts, toujours muni de mon Laissez-passer, Ausweis (voir photo dans l'album Documents). A l'automne j'étais réquisitionné pour livrer du bois de chauffage aux personnes âgées. J'étais généralement bien accueilli et pour cause. J'avais parfois droit à un café un à un gâteau. Il ne faut pas croire que je n'étais pas surveillé puisque je disposais d'un laissez-passez Kr Gef. J'en veux pour preuve l'anecdote suivante.
C'était à la belle saison, en fin de journée. Je revenais des champs avec mon attelage, une charrette ou un tombereau. Je rattrapais la fille du maire qui marchait sur la route. Arrivé à son niveau, elle fit ni une li deux et grimpa sur le brancard de la charrette. Elle avait à peu près mon âge. Sans se soucier nous avons discuté et rigolé tout en traversant le village. Le lendemain j'ai été cuisiné quasiment toute une demi-journée par un gendarme pour savoir ce que nous avions dit et surtout ce que nous avions fait. Je m'en sortis sans problème en ne révélant pas que ce n'était pas la première fois que je discutais avec la fille du maire. Celui-ci était un nazi, toujours vêtu d'un uniforme et portant le fameux brassard à croix gammée.

Les Göttlich auraient bien voulu que je suive le rythme des travaux agricoles et que je travaille le dimanche à la période des foins ou de la moisson. Je m'y suis toujours refusé en m'appuyant sur la Convention de Genève. Le vieux m'accompagnait parfois pour évaluer la pousse des céréales. Il se baissait et passer la main au ras du sol ou un peu plus haut pour se rendre compte si le blé poussait. Une année à la période des foins, il voulut conduire un attelage chargé d'herbe. Il fit une mauvaise manoeuvre et tout se renversa. On détela mais je laissai sur la place la charrette et le foin car le lendemain était un dimanche. Ce fut le drame, mais je ne cédai pas. Le lundi je pris tout mon temps pour tout relever et recharger.

Se nourrir durant cette période était un impératif y compris pour les Allemands. Même si la ferme procurait pas mal de choses, les autorités réquisitionnaient une grande partie de ce qui était produit. A tel point que la vieille usait de tous les stratagèmes pour conserver le plus possibles de provisions. Elle écrémait le lait pour pouvoir fabriquer un peu de beurre. Elle surveillait de près les morceaux de porcs distribués et ainsi de suite. A une période peut-être plus difficile qu'une autre, la vieille apporta sur la table un plat de lapin. Au fur et à mesure que je mangeais, je m'aperçus que les os n'étaient pas ceux d'un lapin. On me demanda si cela me plaisait mais on ne m'en dit pas plus. Quelques jours après je découvris la peau du chat de la maison. Nous avions mangé du chat ! Je surveillais les poules sur leur nid afin de me servir. Mais la vieille avait l'oreille fine et dès qu'elle entendait une poule chanter, elle se précipitait. Nous nous livrions à distance à une course à l'oeuf. Quand je passais le premier, je les gobais et j'enterrais les coquilles dans les terres lorsque j'allais au champ. D'autres fois, j'en prenais pour les rapporter au kommando et en faire profiter les camarades.

acpgkrgef3945 JosephGÖTTLICH

Adelsdorf,Joseph Göttlich

En 1943 ou 1944, Joseph Göttlich revint chez lui. Il avait combattu à Stalingrad. Il avait été blessé et était amputé d'un pied. Il était appareillé. Un jour où je labourais il m'accompagna. Je lui cédais les manchons de la charrue. Une, deux, trois fois il tomba car sa prothèse s'enfonçait dans la terre meuble. Il s'arrêta, s'assit sur un talus et pleura amèrement, s'apercevant qu'il ne pouvait plus travailler.

Les antihitlériens
Je fus aussi affecté chez Ernest Gröger, un homme âgé. Il conduisait sa ferme n'importe comment et cela me faisait poser des questions. Un après-midi d'hiver nous étions occupés à battre des céréales dans une grange. Il sortait et rentrait. A un moment en rentrant, il me dit, tout en tapant les pieds pour se débarrasser de la neige et de la boue :"Hitler va faire comme Napoléon en Russie". Je n'ai pas répondu car je ne comprenais pas ce qu'il voulait me dire. Je me méfiais car cela pouvait être un piège pour me faire parler. Il faisait souvent des allusions de ce genre. Un autre après-midi de mauvais temps, nous avons échangé tant bien que mal sur la situation. Il me révéla qu'il était antihitlérien ainsi que quelques autres dans le village. Il m'expliqua qu'ils se réunissaient dans une petite maison un peu à l'écart de la route pour écouter la radio anglaise. Ils en masquaient les fenêtres afin de se dissimuler des regards. Situant bien l'endroit, je lui fis part de mes appréhensions car ils n'étaient peut-être pas assez prudents et pouvaient être entendus depuis la route. Un ramasseur de lait faisait partie du groupe. Je ne le revis plus faire sa tournée. J'appris qu'il avait été arrêté et exécuté pour trahison. Je compris donc pourquoi il cultivait ses terres de cette manière, il résistait à sa façon. Il faisait les moissons à l'automne lorsque les premiers froids faisaient leur apparition. Il laissait les pommes de terre en place et ne les arrachaient que lorsqu'il y avait de la neige et du gel, et ainsi de suite afin de livrer le moins de denrées aux autorités. Il fut lui aussi convoqué et cuisiné mais il s'en sortit en prétextant qu'il avait vieilli et travaillait seul.

Dans la région vivait un français, un ancien prisonnier de la Guerre de 14. Il n'a jamais voulu nous parler et feignait de ne pas comprendre le français lorsqu'on s'adressait à lui."

Pour compléter voir la deuxiéme partie de l'exposition en ligne des Archives départementales de Saône et Loire consacrée aux prisonniers

http://www.archives71.fr/arkotheque/client/ad_saone_et_loire/_depot_arko/articles/199/prisonniers-de-guerre-soldats-de-saone-et-loire-en-captivite-1940-1945-exposition-panneau-3-et-4_doc.pdf

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Commentaires
N
Contribution très intéressante et véridique . J'ai moi-même exploité 299 lettres de mes parents de 1939 à 1945 ds un livre "Les Lettres de l'Espoir", à paraître chez l'éditeur de Colmar: "Jérôme Do Benzinger" en août.<br /> <br /> Merci pour ces belles informations sur la vie des prisonniers dont on ne parle plus guère malheureusement.<br /> <br /> Cordialement<br /> <br /> Nicole Jeanneton-Marino<br /> <br /> La Rochelle
A
Bjr, <br /> <br /> Je reconnais dans ces propos ce que m'a dit mon père qui travaillait dans une ferme de la région de LIMBURG. Il était du stalag XIIA. A cette ferme travaillait aussi une russe soldate qui mangeait à l'écurie. Mon père la protégeait un peu. Mon père n'a jamais caché aux fermiers qu'il s'évaderait. Ce qu'il fit le 28 Août 1943. Il faisait parti du kommando 652 b. Qui pourrait m'aider pour localiser ce village ou se situait cette ferme ? Merci d'avance.<br /> <br /> D. PRADIER
N
Texte très intéressant pour moi qui écris la vie de mon père, Robert Marino, prisonnier au Stalag VI B. Comme ce monsieur, il travaillait dans une ferme mais ne racontait pas grand-chose dans ses lettres (j'en ai 299 sur la durée de la guerre: 39-45). quand il rentra, j'avais 6 ans. je me souviens de certaines choses mais pas de tout, de plus il ne raconta pas tellement d'anecdotes ou alors pas devant moi!<br /> <br /> Je suis à la recherche de renseignements sur le stalag VI B: nombre de prisonniers, nombre de baraques, et sur le travail à la ferme dans cette région proche d'Osnabrück. je m'y rendrai cet été pour m'informer.Je suis en contact avec des personnes s'occupant du patrimoine de cette région.
ACPG 39-45, d'Albi à Prague, souvenirs d'un ancien combattant prisonnier de guerre 39-45
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L'auteur
http://www.alainboussuge.com/
Investigateur du parcours militaire des hommes durant les conflits : 1870-1871, 14-18, 39-45.

Historien par passion.
Les hommes de ma famille ont été mobilisés en 1870, 1914, 1939.
Où ont-ils combattu ? Qu’on-t-il enduré ? Ils sont revenus vivants, mais pas toujours indemnes.
Ce site est consacré à mon père
Un oncle, FFL, 2°DB, epagliffl.canalblog.com
Les victimes de guerre sont anonymes sur les monuments aux morts, elles revivent, pour peu que l’on s’intéresse à elles.
A Bourbon-Lancy, en Saône et Loire, 2 monuments aux morts, 3 sites d’identification des morts
morts3945bl.canalblog.com – resistantsbl.canalblog.com 1870mortsdebourbonlancy.canalblog.com
Un livre, Le canton de Bourbon-Lancy dans la guerre de 1870-1871
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